Les aventures de Mzungu Dollar

Une esthétique tropicale de l'utilité sociale

30 octobre 2006

Hégémonie participative

En passant, je viens, dans un accès de bienveillance narcissique, d'autoriser les commentaires anonymes. Fini, donc, les jérémiades comme quoi les utilisateurs doivent s'enregistrer et je ne sais quoi.

Il faut aussi, absolument, que je décrive un bout de mon rêve de cette nuit. J'essayais une nouvelle piscine municipale à Paris, et je découvrais qu'elle comportait un nombre impressionnant de bassins. Et que chaque bassin était consacré à sa "minorité". Il y avait par exemple un bassin pour les gens qui nagent avec un arc (?), et (le must) un bassin pour les gothiques qui nagent tout habillés avec des chaînes cloutées.

Bref, le problème au final c'est qu'il n'y avait aucun bassin susceptible de m'accueillir, ce qui ne m'étonne pas trop.

Sinon, bonne ou mauvaise nouvelle je ne suis pas sûre, mais je vais sans doute (sous réserve de confirmation) conserver mon immunité diplomatique jusqu'en mars prochain.

Administration territoriale

Mettant de côté quelques instants l'unilatéralisme qui caractérise ma production bloggesque, sacrifions un peu aux sirènes de l'interactivité.

L'état-civil rwandais, puisqu'il en était question dans un commentaire, qu'en est-il ?

L'état-civil rwandais, c'est une affaire très classée. Peut-être parce que les Allemands puis les Belges sont passés par là ? Depuis le début du vingtième, la carte d'identité est obligatoire, et indique ton ethnie (utile pour le colon en manque de main-d'oeuvre, car les Hutus étaient corvéables et les Tutsis ne l'étaient pas). La décolonisation n'a pas modifié cette pratique, puisque dans la logique de reprise en main du pays par les Hutus (au pouvoir de 1959 à la mort de Juvénal Habyarimana en 1993), les Tutsis n'avaient accès qu'à un pourcentage fixe des postes importants (enseignement, administration... une sorte de discrimination négative), et qu'il fallait donc pouvoir vérifier les identités avec célérité.

Autre héritage de la colonisation : le découpage administratif. On trouve difficilement plus quadrillé que le Rwanda (en passant, un pays minuscule, un confetti des grands lacs avec le Burundi et l'Ouganda). le territoire est divisé en 12 préfectures (depuis 2000, on parle de "provinces"), subdivisées en communes (redécoupées aujourd'hui sous le nom de "districts") elles-mêmes sectionnées en secteurs et en cellules (la plus petite unité administrative, à ma connaissance il y en a plus de 8000, et c'est à leur niveau que sont établies les juridictions Gacaca, ces tribunaux populaires locaux chargés de juger la multitude de "petites mains" du génocide).

La population a donc toujours été étroitement contrôlée, à tel point qu'il fallait demander une autorisation pour te déplacer hors de ta cellule administrative. Il n'est donc pas trop difficile de recenser les morts du génocide. Il l'est beaucoup plus de déterminer qui a trucidé qui, c'est là où les Gacaca interviennent...

A la base, les gacacas ont été instituées pour désengorger la filière judiciaire normale. Mais la politique de repentance et de dénonciation qui a cours actuellement produit l'effet inverse : les gens s'accusent et se dénoncent les uns les autres à qui mieux mieux, à tel point que plus les Gacacas jugent de gens, plus il y en a à inculper et à juger. Effet pervers : quelque chose comme les deux tiers de la population sont susceptibles d'être jugés, sont fichés par l'administration et... je vous laisse imaginer ce qu'une telle épée de Damoclès peut constituer comme outil de contrôle politique et social.

J'espère vous avoir fait un peu rêver.

27 octobre 2006

Economie du vide

Rien de rien de rien de rien (Gertrud Stein en Tanzanie).

Pour résumer, je rétrécis tellement que j'en suis à relire Les origines du totalitarisme d'Hannah Arendt... en anglais. Apparemment le Chloé Delaume dont j'attends l'arrivée depuis deux mois est quelque part en transit dans Paris et a raté les valises de notre avocat-commis-voyageur rentré hier. J'enrage un peu, faudra attendre dix jours de plus. Ca aussi, c'est la vie africaine, la pénurie permanente de ces biens courants occidentaux que sont les livres à profusion ou trente marques de cookies différentes sur les rayons (quand un truc te plaît, tu achètes tout le rayon voire tout le stock parce que la prochaine livraison ça sera peut-être dans 15 jours, plus sûrement dans 6 mois). Parfois tu trouves un produit manufacturé improbable en deux exemplaires dans une épicerie pourrie (mettons, un conditionner capillaire L'Oréal genre aux extraits de molécules d'ozone antiradicale libre, une véritable denrée de luxe, ici), comment, par quel hasard commercial il est arrivé là, tu ne sais pas (parce que tu le vaux bien?), tu imagines son périple de Düsseldorf par Rotterdam via Dubaï (tout produit occidental passe par Dubaï. Corollaire : la crème L'Oréal elle coûte au moins 15 dollars). La mondialisation du pauvre, c'est étrange, ces produits de supermarché à des tarifs haut de gamme. C'est bizarre, d'arriver à la caisse du supermarché et de lâcher 80 000 shillings (environ 80 dollars, plus que le salaire de base ici - 60 000 shillings mensuels) avec l'impression d'avoir quasi rien acheté (deux bouteilles de vin, trois conserves, du shampoing, des céréales pour le petit déj - les cornflakes Kellogs, ici c'est 10 dollars la boîte) , pendant que les quatre gars derrière toi font la queue pour payer ce qui a l'air de l'achat de la semaine, soit un pain tranché à 1000 shillings.

Les classes sociales sont bien tranchées. C'était bien la peine, trente ans de socialisme tanzanien non totalitaire (ha, on y revient). Arusha, c'est simple :
- D'abord, les employés du TPIR, qui ont cette particularité d'être diplomatiquement immunisés. Eux-mêmes stratifiés à mort, ça va de soi, entre :
Expatriés :
*Les super-VIP : Président du tribunal, juges, greffier, procureurs...
*La défense
*Le personnel moyen (administratif, sténos...)

Locaux : Les heureux locaux sous contrat au tribunal (sécurité, ménage, archives, restauration...). De manière générale quand tu annonces que tu bosses au tribunal, il y a toujours un local pour te demander si tu peux pas lui trouver un poste ici.

- Ensuite, les Occidentaux expatriés hors-ONU, y'en a pour tous les goûts, des patrons de boîtes de safari, d'hôtels, de restos, des volontaires, des enseignants, des employés de boîtes de safari -commerciaux, comptables...-, des amateurs d'import-export, des états-uniens évangélistes, quelques ex sex-fans des sixties ayant trouvé plus original que Goa pour ne jamais redescendre, des patrons de fermes florales -les roses du Monceau Fleur, le basilic du Monop, avec un peu de chance ils ont vu le Kili avant de prendre l'avion réfrigéré.
L'échelle des revenus va de 1 à 1000, mais ils sont blancs, donc ils sont riches, donc ils sont tous pareils. CQFD.

- Les Indiens. Les Indiens on les voit peu. Sauf si on rentre dans les magasins, ou plutôt dans les arrières-boutiques des commerces dont ils sont propriétaires. Entreprises de bâtiment, investisseurs, propriétaires de compounds, supermarchés de souvenirs, épiceries chères... tout ce qui est efficace, cher, fonctionnel, de manière générale, c'est indien. Ils vivent dans leur coin, dans des petits compounds ou dans d'immenses villas hypersurveillées, selon leurs revenus. Au moins grâce à eux on trouve des restaurants indiens à se damner (où comment découvrir qu'un vrai cheese naan n'est pas une crèpe fourrée au Vache-qui-rit)

- Les Tanzaniens. Pour résumer ce que sont les Tanzaniens dans cette architecture, petite anecdote. Tu vas dans une épicerie (généralement indienne) et tu expliques que tu cherches de la farine de maïs pour faire de l'ugali (une sorte de polenta, le plat de féculent de base ici. Moins cher que le riz et bourratif, pratique quand tu as 12 enfants). On t'explique le plus simplement du monde : "Alors voilà, cette farine-ci c'est très bien pour faire la patée du chien et pour les Tanzaniens ; celle-là, elle est bonne, elle est plus chère."
Le Tanzanien, il fait quoi ? Il est employé ici et là, il est chauffeur de taxi (agréé par le tribunal quand il a de la chance, et là c'est la manne), elle est serveuse, il est askari (gardien), elle est maid. Soit les fameux salaires à 60 dollars qui font vivre des familles entières. Le jeune tanzanien taximan ou serveur, il s'est offert une formation de guide, il voudrait ou il est en train d'apprendre le français, il les attends de pied ferme, les touristes.


- Les touristes, qui sont beaux comme des coeurs, tout rougis dans leurs costumes de brousse en série. On les emmène au Shoprite, LE centre commercial d'Arusha, qu'ils se lestent de barres chocolatées Cadbury's avant leur semaine de pure aventure au Serengeti. Ensuite on les fait monter dans des véhicules mi-tank, mi-bus (assis à 6 mètres du sol, ça protège sans doute des miasmes morbides des miséreux tanzaniens), et on en parle plus.

La suite une prochaine fois.


Une petite perle, tout de même, pour le carré des présumés génocidaires. La défense tente de prouver la non crédibilité d'un témoin du procureur, témoin qui a participé au génocide (comme beaucoup de monde à l'époque). Il y a apparemment des différences entre un nom de victime donné aux enquêteurs du tribunal il y a quelques années et le nom donné lors de l'interrogatoire. L'avocat insiste, le témoin argue que c'est la transcription qui est erronée et finit par conclure un poil énervé :

« Je voudrais dire au Conseil qu’il ne peut en aucun cas se fonder sur cela, parce que la personne qui a consigné cela a commis une erreur. De toute les façons, j’ai tué une personne, ce n’est pas son nom qui a été tué. De toute façon, il n’est plus en vie, et sa famille n’est plus en vie non plus. »

On se marre bien, non ?

11 octobre 2006

Mare aux crocodiles

L'idée, au départ, c'était de voir le Kilimanjaro. C'est une sorte de sport, ici, voir le Kilimanjaro. À défaut de l'escalader, parce qu'on n'est pas venu se faire violence et si je perds un bras, mon Utilité sociale pénalement internationale chute libre.

Mais le Kili — pour les intimes —, le Kili, visuellement, c'est une très nébuleuse éminence in abstentia. Donc, lassés de notre non-contemplation du non-Kili surplombé de brouillasse — en vertu d'un phénomène météorologique à l'explication duquel je me permets d'obvier — en la bonne ville de Moshi, elle-même bien réelle, tout à fait ensoleillée et où l'on peut manger avec les doigts de l'excellente saucisse tanzanienne grillée (c'est aussi loin que je me sens capable d'aller dans l'anecdote sensorielle. Pour le reste, tout bon guide de voyage fatalement illustré d'un zèbre vous fournira les informations appropriées sur Tanzanie/Kilimanjaro/Moshi), nous la quittâmes, donc, la ville de Moshi, repartant sur la piste en quête de mystérieuses sources d'eau chaude et déjà je sens comme une inquiétude quoi comment se baigner dans de l'eau douce en Afrique mais c'est complètement irresponsable et. C'est bon, ça suffit, c'était quoi l'intérêt de me perforer les biceps antipolio si en contrepartie je peux pas un peu me la jouer perche du Nil?

Alors on arrive là :












Et quand on nage c'est comme ça :


L'eau est tiède. Il parait qu'il y a des crocodiles. Ou alors c'est juste pour effrayer les touristes, d'ailleurs y'en a pas, juste de grands arbres, des oiseaux et de petits poissons gris.





Quant au Kilimanjaro...

Mzungu en chair et en pixels


Voilà, ça se passe de commentaire.

Est-ce le moment idéal pour annoncer que je vais squatter la maison avec piscine d'une avocate jusqu'en décembre? Je ne crois pas. Trop tard

05 octobre 2006

Référent marginal 1

Pas le temps de blograturer ad lib, on se contentera aujourd'hui d'une réflexion succinte, constructive et réaliste sur mon environnement plus si nouveau désormais. J'ai pioché le ressenti en trainant les pieds sur Nyerere road... Va chercher, va chercher le détail qui fait qu'ici non vraiment c'est pas pareil et l'aboyer à la face du monde. Ha!

À part l'été qui commence mélanine, les fleurs des jacarandas et sarments cascade des bougainvillées, à part les vodkas à un dollar, les regrets croupis asséchés qui font place (enfin!) et même si rien de franc ne s'y substitue dans l'instant — laisse venir —, à part l'impunité diplomatique de la situation — résider sans y être, white spirit expatrié...

À part, donc; dire du prosaïque encore plus pour les amateurs de concret.

Eh bien, l'autre matin, je me disais voilà une ville dans laquelle on peut marcher des heures les yeux fermés, en ne risquant rien sinon dégringoler dans un égout à ciel ouvert au milieu du trottoir, MAIS sans une seule fois planter son pied dans de la merde de clébard. Pas de toutous mémère en laisse à Arusha; les chiens, ici, ils ont la classe des bâtards à Baudelaire.

Tu parles d'une fulgurance. Mais désormais on ne pourra plus me reprocher de court-circuiter le référent. Je crois.

02 octobre 2006

Dans la brousse — avec Stan

Ca y est, elle l'a fait : Mzungu Dollar s'est démis les vertèbres sur la piste poussière en 4 x 4 le corps enduit de 5 x 5, s'est écorché la tente igloo dans les épines, a contemplé sauvages buffles girafes autruches, s'est brossé les dents à l'eau minérale sous l'oeil perplexe d'un berger Massaï, a gobé des frankfurters au feu de bois arrosées de merlot sud-africain puis compté les étoiles filantes aux douces mélopées du chant... d'Eminem.

Une expérience ENFIN AUTHENTIQUE depuis le temps qu'on me la réclame beaucoup n'y croyaient plus. I ain't mad - I just think it's FUCKED UP you don't answer fans.

"So this is the real thing, this is not for tourists?" demande inquiète une dadame en mitraillant discrètement les mioches regards doux gazelles au seuil de la boma*.

L'accessoire indispensable du weekend, une fois la nuit tombée : le bon vieil iPod des familles. Dear Mister-I'm-Too-Good-To-Call-Or-Write-My-Fans, this'll be the last package I ever send your ass. Parce que ça va cinq minutes de s'extasier sur l'autochtone photogénique menant ses authentiques vaches maigres dans le monochrome aléatoire du bush.

Merci Steve Jobs, merci Stan.

*Boma : campement massaï traditionnel.