Les aventures de Mzungu Dollar

Une esthétique tropicale de l'utilité sociale

03 novembre 2006

A day in the colonial life of... (8h16-12h30)


8h16. Je passe ma laisse autour de mon cou. Indispensable laisse, le pass électronique sans lequel il est impossible de rentrer, de sortir, de se déplacer d'un bâtiment l'autre, d'un étage l'autre ou d'un couloir l'autre. Qui porte en énormes caractères ma date de péremption (actuellement, je me périme le 15-12-06) ainsi que mon portrait sur fond de drapeau onusien, la tête bien centrée sur la couronne de lauriers. Ste Mzungu œuvrant pour l'Amour universel et la Paix.

Ma laisse précise que les autorités civiles et militaires sont priées de m'accorder le libre accès au territoire et les privilèges et immunités diplomatiques nécessaires à l'exercice de mes fonctions. Une fois dans le bureau que les autorités m'ont dans leur grande bienveillance et respect des accords internationaux permis d'atteindre, je pourrais être n'importe où à les exercer, mes fonctions, quelque part dans un complexe post-stal à Treptow, Berlin-Est, à Levallois-Perret ou à Noisy-le-Sec, si ce n'étaient les feuilles de palmier ponctuant le béton ici et là.

8h50. Je monte en audience « balayer ». Ca défile, les questions au témoin, les objections, les québécismes que je place entre guillemets, les épellations de dix noms impossibles, d'autres questions qui ont l'air de n'avoir aucun sens depuis les mois et les mois et souvent les années que se poursuit le ballet des témoins. Moi ballerine amateur lancée là au milieu. La sténo tape, impassible, ou laisse carrément filer, parfois, quand ça s'énerve trop et qu'on doit largement dépasser le 200 mots par minute qui seront rattrapés en aval ; et moi je suis, enfin j'essaie, ligne par ligne, et puis je loupe trop de trucs, et à force de rajouter des s ou de tenter de retenir le mot qu'il va falloir rajouter là j'en suis sûre, ou encore relever la tête et au rythme des voyants rouges sur les micros retrouver qui a coupé la parole à qui en s'objectant des cinq avocats ou du procureur, je n'y comprends strictement plus rien, qui parle, pourquoi, ni même ce que le témoin est en train de dire, ce n'est plus alors qu'un torrent d'interventions qui défilent pendant que la sténo continue de pianoter impassible, et parfois c'est plus rien, du son, de la matière sonore informe dégueulée en une suite de signes, de sténogrammes qui décrivent sans doute précisément des horreurs qui pour moi, littéralement, sont devenues illisibles et inaudibles puisqu'en rajoutant ce mot qui manque je viens de rater la phrase suivante et la question et la réponse suivantes que je remplace sagement, exécutante, par des points de suspension provisoires.

Parfois, pendant quelques secondes, j'enlève le casque qui me dégueule en accéléré la version française, et c'est étrange, dans la chambre, c'est presque le silence, une sorte de pantomime absurde de gens costumés qui se lèvent et se rassoient, comme si personne n'était vraiment là. Derrière la vitre, dans la galerie du public, les enquêteurs, et quelques touristes avec leurs sandalettes et leur costume beige multipoche, qui froncent les sourcils sous leur casque et suivant de la tête de gauche à droite ambiance Wimbledon ; ils n’y entravent pas grand-chose non plus.

Le juge balance un coup de maillet, je sursaute. 10h30. Je m'arrache clavier casque, c'est la pause. C'est l'heure de la récréation, du café, c'est l'heure ou avocats, procureurs, greffe, assistants idoines, traducteurs, éditeurs fument ou pas des cigarettes par petites grappes, qui avec et qui sans sa robe et le cas échéant sa perruque. Un procureur britannique en robe noire et rouleaux blancs une Winston à la main devant un palmier. Cliché. Par exemple.

Je vais à la cafétéria avec des collègues. Je commande un croissant trop gras et salé, que je me contente de regarder dans mon assiette parce qu'il ressemble à un croissant. On boit un café filtre pas très bon en se demandant pourquoi vivant à 80 kilomètres d'une des meilleures cultures de café de l'univers connu, on avale du jus de chaussette. Puis on retourne qui sténotyper, qui balayer, qui éditer. Un peu comme je pourrais faire à Rosny, à Neuilly, à Levallois-Perret, sauf que là je sauve le monde, évidemment, ça donne du sens à mon stylo rouge en attendant la pause déjeuner.

1 Comments:

At mardi, novembre 07, 2006 11:12:00 AM, Blogger JSML said...

Comme je ne suis pas blonde, que j'aime jouer avec la narration et que je n'aime rien tant que l'incohérence et l'inconstance, je me fendrai d'un bon coup de pied dans la chronologie, quant à ma pause déjeuner on verra plus tard.

 

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