La survie, mode d'emploi
Quoi m’a saisi l’œil, le premier matin, en franchissant de mes souliers bien cirés les grilles du compound*, sur cette terre mal asphaltée où l’homme blanc ne devrait circuler que motorisé ? Les charrettes à bras ? Les mini vans Toyota vomissant en marche du passager dans la poussière des ronds-points ? Quels risques inconsidérés prenais-je ? Et cet enfant de 8 ans qui balance une machette à bout de bras, pourquoi me regarde-t-il de manière insistante ?
(Juste pour prouver que l’art rhétorique bhélien, je maîtrise.) Sans frisson minimal, pas suspense et pas Récit. La sécurité : thème incontournable du Voyage. CQFD.
« ON VA Y ALLER EN TAXI. »
D’abord — le premier soir — je me suis marrée bruyamment. J’ai cru à une blague.
Mais quinze minutes plus tard, ils sortaient du restaurant et s’y entassaient, dans le taxi, petits expatriés tout frais avec bagages. Tourner le coin et ressortir cinquante mètres plus loin dans la cour d’une résidence sécurisée. La course la plus courte du monde, me dis-je en aparté ricanant. Assertion inexacte, l’avenir se chargerait de le montrer : une course de vingt mètres, c’est parfaitement jouable.
L'immeuble, pas joyeux : un camp retranché murs barbelés qui s'agrippent jusque sur le toit, coursives grises sur arrière-cour idoine et grilles redondantes aux fenêtres — ici les vitres sont rares, alors on met des grilles. Nous on a les deux. Vitre + grille = signe extérieur de richesse s'il en est. C'était vachement coquet.
Peut-être aurais-je dû verbaliser sur le moment — pour la littérature —, la bulle de terreur dans laquelle on s’étouffe oreiller dans la taie des débriefings et notes internes, puis les bons tuyaux du ronflant spécialiste en généralités qui l’air entendu « les connaît, les Africains » et décrit subséquemment sa collection de fusils à pompe, avant que vous n’ouvriez ce mail invitant à enregistrer vos armes à feu auprès des autorités locales. Mineurs armés au chômage, malfrats venus de Kigali, de Nairobi ou d’ailleurs, ombres importunes grâce auxquelles Mzungu Doll engrange les nouveaux amis : Abdallah, Adolf, Harry, Omar, Razak, Twalibu… chauffeurs alphabétiques dans la carte SIM.
Portefeuille, portable et taxi, prolongements désormais naturels de ce qu'il me reste de corps.
« You give me money, you’re my friend », déclare Harry.
Comme ça c'est pas moi qui le dis.
* Compound : quartier/lotissement sécurisé destiné aux expatriés et à la grande bourgeoisie arushienne dont on reparlera. Depuis une dizaine d'années, les compounds fleurissent à Arusha. Leader incontesté : Parastatal Pensions Fund — PPF pour les intimes. Vive les fonds de pension.

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