Les aventures de Mzungu Dollar

Une esthétique tropicale de l'utilité sociale

01 novembre 2006

A day in the colonial life of... (6h30-8h15)

L'alarme de mon téléphone me vrille du Chopin au Bontempi. Il est 6h30 et je me retourne plusieurs fois dans mon queen size bed, relance l'alarme pour dans 10 minutes et cale ma tête au creux d'un des trois oreillers qui traînent sur le matelas. Par la fenêtre, je devine le lever de soleil sur les collines. Un chien aboie en continu. Ils aboient bizarrement les chiens ici. C'est pas vraiment des aboiements, ni des hurlements, une sorte de hoquet sonorisé qui n'en finit jamais.

6h40. Je repousse les pans de la moustiquaire, je me lève, j'ouvre la porte de la terrasse, je baille. En baissant les yeux, je tombe dans ceux de la voisine, qui réchauffe de l'eau dans une bassine en fer blanc sur un braséro. Parfois il pleut et l'arrière cour est boueuse. Parfois pas. Parfois il y a un ou deux papillons grands comme la main et bleus qui tournicotent entre les bananiers et autour du braséro. Parfois pas. En tout cas, tous les matins à 6h30 la voisine fait chauffer de l'eau dans une bassine en fer blanc de l'autre coté du mur de la propriété qui fait bien ses six mètres mais que je domine d'un étage — pour la vue.

Alors là, permettez que je fasse le narrateur omniscient pour signaler que l'eau en question, l'eau pour la journée, a été collectée plus tôt ce matin même dans 3 ou 4 jericans de 20 litres en plastique à la fontaine publique, évidemment pas à côté, ce serait trop simple.

Je rebaille, je me traîne dans la baignoire, je tourne les robinets, je m'ébouillante avec l'eau du cumulus qui a chauffé à bloc toute la nuit, je tourne un coup l'eau froide, putain c'est glacé, je m'énerve, je lance un petit couplet sur vraiment la plomberie dans ce foutu pays c'est loin d'être gagné, je ressors de la douche pour éviter de m'ébouillanter totalement et accroupie sur le carrelage je tourne les robinets avec une patience de braqueur de coffre jusqu'à obtenir la température optimale, ce qui me demande parfois plusieurs minutes.

Pas encore lavée, j'ai dû déjà bien consommer de 30 à 50 litres d'eau chaude — pour rien.

Je sors de la douche. Je m'enduis intégralement de crèmes multiples et variées parce que la peau de Blanc ça s'entretient contre la poussière et pour le bronzage, contre les coups de soleil et les nuages de Diesel, sans compter les moustiques. Merde j'en ai foutu partout, pas le temps de nettoyer. Mais si je nettoie pas, c'est la maid qui va le faire. Et j'ai aucune envie que la maid le fasse. En même temps, de toute façon, elle va fatalement passer la serpillère partout puisqu'elle passe la serpillère partout et tous les jours sans qu'on lui demande rien.

Bon. Alors la maid va nettoyer.

Je descend l'escalier en sous-vêtements — tant que la maid n'est pas arrivée, une des raisons pour lesquelles je me lève aussi tôt le matin, pouvoir zoner et déjeuner sans que personne ne se balade dans mon dos d'employée blanche du tertiaire judiciaire international et ne ramasse mon mug et mon verre et ma serviette alors qu'encore une fois j'avais rien demandé et que ma vaisselle je peux très bien la faire moi-même. Je verse un demi-litre d'eau minérale dans la bouilloire. Je constate que l'électricité est coupée aujourd'hui, comme hier, comme avant-hier, et sans doute comme demain. J'en ai rien à foutre de leurs scandales énergétiques nationaux, du niveau de l'eau dans les centrales hydroliques qui a encore baissé, ils magouillent comme ils veulent, Tanesco* : moi, j'ai le gaz. J'allume le gaz.

Je tartine du pain, j'ouvre un yaourt, je verse l'eau chaude sur le sachet de thé, je m'assieds à la table familiale de la salle à manger et je contemple les douze roses blanches que j'ai achetées en sortant du tribunal hier soir, qui sentent bon et qui ne m'ont couté qu'un dollar, alors que pour le même prix à Paris j'aurais même pas l'emballage en cellophane des machins inodores qu'on vous vend le soir dans les cafés. Je rêvasse un peu en buvant mon thé.

Je fais la vaisselle, je me coupe le doigt sur une lame de couteau, je me dis pauvre conne si t'es pas capable de laver un couteau sans t'entamer le doigt, de quel droit tu t'étonnes qu'on t'inflige une maid.

Je remonte dans la salle de bain me noyer le pouce dans un demi-litre de désinfectant parce qu'en Afrique, c'est bien connu, tout pourri plus vite, et même si je suis loin du corps de Tutsi décapité dérivant sur la rivière Akanyeru, « on est jamais assez prudent quand on est blanc ».

Je choisis mes vêtements de la journée. Je constate que ma chemise est à peine défroissée. Je peste. Impossible de la repasser parce que la maid retient en otage le fer dans l'office dont je n'ai pas la clé. Et la fois où je lui ai demandé de me le laisser, elle n'a pas compris, ou bien ça l'a vexée, en tout cas, il est resté hors de ma portée. Je mets ma chemise froissée et je décide que je m'en fous. Car au fond je m'en fous. Enfin, je crois.

Je redescends, je note sur le bloc qu'il n'y a rien de particulier à faire aujourd'hui. Je ne note pas que je m'excuse d'avoir foutu du lait hydratant partout dans la salle de bain parce qu'à tous les coups elle ne va rien comprendre, la maid, croire qu'il s'agit d'une instruction hyper subtile, me téléphoner au travail pour me demander de quoi il s'agit, je lui répondrai que c'est rien, que c'est pas grave, et ça va créer des frustrations communicationnelles de part et d'autre. Donc, je n'écris rien, sinon qu'il n'y a rien de particulier et qu'il y a 10 000 shillings dans le tiroir pour faire les courses qu'elle estimera justifiées de faire, parce que j'ai bien compris que l'intendance, c'est son domaine et pas le mien.

Mon alarme sonne. Il est 8 h 00. Je sors, je ferme à clé, je contourne la piscine, je referme le portillon du jardin et j'ouvre la portière passager du taxi qui m'attend. Aujourd'hui, on apprend à compter de 10 à 100. Je voudrais bien lui apprendre à conjuguer être et avoir, mais conjuguer, lui il voit pas l'intérêt, il veut des mots et des formules de politesse. Je sors la feuille de papier sur laquelle j'ai tout de même conjugué avoir et être, parce que bon, c'est moi le prof, bordel. On manque renverser un vélo transportant trois énormes jericans d'eau parce que Kalage (mon chauffeur), essaie de déchiffrer "il est" en conduisant. Je regrette subitement mon empressement verbal.

8h15. Le taxi s'arrête devant l'entrée du Arusha International Conference Center, siège du Tribunal international pour le Rwanda et de divers colloques nationaux et internationaux qui provoquent de longues files le matin au point de contrôle de sécurité. Je file 3000 shillings à mon chauffeur qui promet de me réciter tous son nouveau vocabulaire le soir même. L'officier de sécurité me fait un signe de la tête et je double la file de 80 invités piétinant du colloque sur l'évolution de l'utilisation des pesticides azotés en Afrique de l'Ouest. Je me sens très importante et professionnellement intégrée.

3 Comments:

At jeudi, novembre 02, 2006 7:38:00 AM, Blogger JSML said...

Mon très cher Ben,

Je m'interrogeais emplie d'inquiétude à savoir si, un jour, je mériterais enfin l'honneur d'une remarque agréablement cinglante comme tu les formules si bien.

Me voici comblée.

Ceci dis je me fais du training stylistique quand je veux et ceux qui sont pas contents ils vont s'acheter un Anna Gavalda ou les dernières pensées géopolitiques d'Alexandre Adler qui sont moins foireuses que les miennes, ça fait pas un pli.

Non mais.

Bise.

 
At lundi, novembre 06, 2006 7:30:00 AM, Blogger JSML said...

Ouais, bon alors il faut savoir, soit c'est des fautes partout et c'est lisible, soit c'est de la littérature et ça l'est pas. Parce qque je vous livre un secret de fabrication maison : plus je relis, plus je fous en l'air la syntaxe parce que j'aime pas la syntaxe et moins, donc, y'a de fautes d'orthographe.


Quant à hydraulique, oui, je sais que c'est hydraulique, okay, platypus, ok, j'oublierai plus, et c'est toi le grand tuyauteur, je t'enlèverai certainement pas ça.

 
At mardi, novembre 07, 2006 10:39:00 AM, Blogger JSML said...

je ne suis correctrice que dans la tranche 8h30-17h30. Le reste du temps mon identité c'est Mzungu Dollar, colon post-moderne, écrivain incessamment raté.

 

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