Un mois, juste pour sortir de l'avion, trouver le tarmac et me blinder le corps d'altérité amibienne et autre, pas moins.
Faut l'avouer, le grand récit exotique, j'hésitais - et encore maintenant. Broder genre ingénue la Littérature de Voyage® et vous pignocher de la couleur locale, le tout ponctué par des rangs de points d'émerveillement, même au deuxième degré
I would prefer not to. Et l'alternative exposé en trois parties Onatoutessayé-CacalaglobalisationduCocapartoù-sontlesneigeséternelles? ça va pas me divertir non plus pendant que je sauve le monde 8 heures par jour, avec mon indicateur d'Utilité Sociale à 100% de ses capacités.
Après un mois de réflexions désinfectées au Micropur, jetons le Lonely Planet que je n'avais pas acheté et commencent Les Aventures de Mzungu Dollar en Afrique tadadadam. Comment je m'en vais défoncer des portes sans huis pour prêcher les convaincus que crevard sous les tropiques c'est vachement mieux qu'ailleurs, surtout si t'es riche.
Car Mzungu Dollar est riche.
Mzungu Dollar c'est une star. Pour le dire avec précision : une Paris Hilton en voie de développement, une jet-setteuse des
dirt roads. Quand Mzungu Dollar pointe son nez, c'est l'émeute. Les taxis klaxonnent, les fourgueurs de batik s'excitent, les mioches piaillent Mzungu Dollar Mzungu Dollar Mzungu Dollar! Ambiance. Que du lait pour l'ego sinon que Mzungu Dollar, elle est parfaitement interchangeable. Du point de vue du local, c'est d'ailleurs tout l'intérêt du personnage, avec son passeport et son darfeuille.
Bref : Mzungu Dollar, c'est moi.
Totalement générique.
Pour en revenir au tarmac initial où c'est qu'on plante ses pieds ravis je vis ici je vis ici, je crois qu'elle l'a pas encore tout à fait foulé, Mzungu Dollar. Pourtant, j'étais prête.
J'avais bu qu'une coupe et un ballon de blanc dans l'avion, du Martha Argerich plein les tympans pour faire genre culture, les pieds tortillant dans le
courtesy plaid en cachemire acrylique KLM, l'oeil en coin condescendant sur le gros Hollandais qui ronfle à côté. Bref : sage, avec dans le hublot de la World Business Class toutes ces dunes, que de sable whaou mais que de sable au Soudan ça doit être vraiment comme ça un vrai désert en vrai, est-ce que des fois ça serait pas l'aventure qui commence ?
Sauf que surplombé de 8 km c'est pas plus réaliste qu'un grand reportage Géo dans la salle d'attente du dentiste.
Du coup j'ai reporté toute mon attention sur un moustique momifié collé au hublot, bien réel avec un côté vaguement synecdochique pas déplaisant (la synecdoque, classe éco de la figure de style et base rhétorique du crevard), synthétisant donc les soirées à venir sous les palmes à exsuder le 5x5. Et puis les parasites qui grattent c'est mon truc, plus que les posters Fram.
Toute cette digression pour dire qu'en y posant les pieds, sur le tarmac en développement de l'aéroport, j'étais prête à la nouveauté avec un niveau d'alcoolémie largement moins élevé que d'habitude et un enthousiasme tout ce qu'on fait de débordant. J'ai grand-écarté les bras et inspiré à pleins poumons comme ils font les Grands Voyageurs aux premières pages de leur inévitable récit miam miam la bonne odeur des tropiques c'est autre chose que les prairies normandes ou la station Réaumur-Sébastopol.
Résultat : 10 litres de gasoil dans les bronches et un gilet de sauvetage jaune fluo qui me gueule d'avancer faut pas rester là avancez rapidement
please ; aimable.
Je voulais en venir où déjà ?
Peut-être, simplement, à ce que ma mauvais volonté post-exotique elle s'est enclanchée là ; puis derrière la vitre teintée du fourgon monogrammé qui blinde à fond le silence sur la route toute droite et que la nuit dans ce pays, zéro éclairage ; puis dans le taxi qu'on prendrait pour faire 40 mètres ; puis dans le meublé carcéral en skaï bleu ; et cette impression de n'être, moi, nulle part, ni dans ce pays derrière la vitre, ni dans ce bureau, ni sous ces arbres en fleur dont je connaissais pas le nom. Et ce flottement, ce corps transparent résumé à une expression la plus simple imaginable, définitivement blanc et inadapté en tailleur et talons sur le bord de route, on la salue uniquement parce qu'on ne la connaît pas — je me suis arrêtée à côté de l'embouteillage, ce premier matin me rendant avec mes propres pieds et mes yeux au travail, sans vitres et roues additives pour blanc cul-de-jatte entre moi et cet endroit et je me suis dit traiter le mal par le mal au point ou j'en suis, une fourgonnette a redémarré me balançant à la gueule dix mètres cubes de monoxyde, allez vas-y j'ai inspiré, y'a pas de hasard, que des thématiques. Un vrai baptême hydrocarbure : Mzungu Dollar est née. Corpus Mzungi. Amen.
Comprenne qui voudra.