Les aventures de Mzungu Dollar

Une esthétique tropicale de l'utilité sociale

21 septembre 2006

Le prix de l'étiquette (futilités protocolaires)

ON s'est inquiété de l'ambiance quasi sépulcrale régnant au coeur de ma syntaxe.

Je ne voudrais pas qu'ON aille s'imaginer qu'un infime différentiel éco-socio-géo-environnementalo-culturo-divertimento-sexuel-et-j'en-passe puisse entamer ma légendaire frivolité esthétisante, et qu'alors, ce Voyage se change en errance puis de confusions radicales en homophonies approximatives, en erreur.

Ô combien non, et constatez donc, tout va à merveille : Demain Mzungu Dollar est invitée à une soirée d'ambassadeur. Angoisse.

Quelle politesse inventer pour s'adresser à l'Excellence ?

Et surtout : QUE VAIS-JE METTRE ? Mon tailleur H et M ?

C'est le drame. Un vrai drame à ma hauteur de talons : 8 cm.

Rassurés ?

18 septembre 2006

La survie, mode d'emploi

Quoi m’a saisi l’œil, le premier matin, en franchissant de mes souliers bien cirés les grilles du compound*, sur cette terre mal asphaltée où l’homme blanc ne devrait circuler que motorisé ? Les charrettes à bras ? Les mini vans Toyota vomissant en marche du passager dans la poussière des ronds-points ? Quels risques inconsidérés prenais-je ? Et cet enfant de 8 ans qui balance une machette à bout de bras, pourquoi me regarde-t-il de manière insistante ?

(Juste pour prouver que l’art rhétorique bhélien, je maîtrise.) Sans frisson minimal, pas suspense et pas Récit. La sécurité : thème incontournable du Voyage. CQFD.

« ON VA Y ALLER EN TAXI. »
D’abord — le premier soir — je me suis marrée bruyamment. J’ai cru à une blague.
Mais quinze minutes plus tard, ils sortaient du restaurant et s’y entassaient, dans le taxi, petits expatriés tout frais avec bagages. Tourner le coin et ressortir cinquante mètres plus loin dans la cour d’une résidence sécurisée. La course la plus courte du monde, me dis-je en aparté ricanant. Assertion inexacte, l’avenir se chargerait de le montrer : une course de vingt mètres, c’est parfaitement jouable.

L'immeuble, pas joyeux : un camp retranché murs barbelés qui s'agrippent jusque sur le toit, coursives grises sur arrière-cour idoine et grilles redondantes aux fenêtres — ici les vitres sont rares, alors on met des grilles. Nous on a les deux. Vitre + grille = signe extérieur de richesse s'il en est. C'était vachement coquet.

Peut-être aurais-je dû verbaliser sur le moment — pour la littérature —, la bulle de terreur dans laquelle on s’étouffe oreiller dans la taie des débriefings et notes internes, puis les bons tuyaux du ronflant spécialiste en généralités qui l’air entendu « les connaît, les Africains » et décrit subséquemment sa collection de fusils à pompe, avant que vous n’ouvriez ce mail invitant à enregistrer vos armes à feu auprès des autorités locales. Mineurs armés au chômage, malfrats venus de Kigali, de Nairobi ou d’ailleurs, ombres importunes grâce auxquelles Mzungu Doll engrange les nouveaux amis : Abdallah, Adolf, Harry, Omar, Razak, Twalibu… chauffeurs alphabétiques dans la carte SIM.

Portefeuille, portable et taxi, prolongements désormais naturels de ce qu'il me reste de corps.

« You give me money, you’re my friend », déclare Harry.

Comme ça c'est pas moi qui le dis.


* Compound : quartier/lotissement sécurisé destiné aux expatriés et à la grande bourgeoisie arushienne dont on reparlera. Depuis une dizaine d'années, les compounds fleurissent à Arusha. Leader incontesté : Parastatal Pensions Fund — PPF pour les intimes. Vive les fonds de pension.

Derniers réglages

NB1: Petite mise au point esthétique (car nul ne l'ignore, Mzungu Dollar est une esthète), la charte graphique de ce blog est parfaitement aléatoire. J'ai tripoté le script du modèle au petit bonheur HTML. Si c'est l'extase, pur hasard, qu'on en parle plus.

NB2: J'initie, en vertu de ma Grande Utilité Sociale, un Carré des présumés génocidaires. Mon best of des audiences publiques.
Pour vous mettre dans le bain, une microscopique perle, Kafka comme si on y était, sans paratexte ni exégèse parce que, le répèterons-nous assez, je ne suis pas journaliste mais exécutante : j'entends je ne comprends rien je n'évalue rien — ce n'est pas dans mes Compétences.


Le carré des présumés génocidaires*

Vous ignorez ce dont vous êtes accusé mais vous avouez ; et vous attendez encore de connaître les accusations pour savoir si elles correspondent à ce que vous avez avoué.
Donc, en fait, vous ne savez même pas si vos aveux ont un quelconque rapport avec les accusations ?

14 septembre 2006

Ca a commencé comme ça (dirait l'autre).

Un mois, juste pour sortir de l'avion, trouver le tarmac et me blinder le corps d'altérité amibienne et autre, pas moins.
Faut l'avouer, le grand récit exotique, j'hésitais - et encore maintenant. Broder genre ingénue la Littérature de Voyage® et vous pignocher de la couleur locale, le tout ponctué par des rangs de points d'émerveillement, même au deuxième degré I would prefer not to. Et l'alternative exposé en trois parties Onatoutessayé-CacalaglobalisationduCocapartoù-sontlesneigeséternelles? ça va pas me divertir non plus pendant que je sauve le monde 8 heures par jour, avec mon indicateur d'Utilité Sociale à 100% de ses capacités.

Après un mois de réflexions désinfectées au Micropur, jetons le Lonely Planet que je n'avais pas acheté et commencent Les Aventures de Mzungu Dollar en Afrique tadadadam. Comment je m'en vais défoncer des portes sans huis pour prêcher les convaincus que crevard sous les tropiques c'est vachement mieux qu'ailleurs, surtout si t'es riche.

Car Mzungu Dollar est riche.
Mzungu Dollar c'est une star. Pour le dire avec précision : une Paris Hilton en voie de développement, une jet-setteuse des dirt roads. Quand Mzungu Dollar pointe son nez, c'est l'émeute. Les taxis klaxonnent, les fourgueurs de batik s'excitent, les mioches piaillent Mzungu Dollar Mzungu Dollar Mzungu Dollar! Ambiance. Que du lait pour l'ego sinon que Mzungu Dollar, elle est parfaitement interchangeable. Du point de vue du local, c'est d'ailleurs tout l'intérêt du personnage, avec son passeport et son darfeuille.

Bref : Mzungu Dollar, c'est moi.

Totalement générique.

Pour en revenir au tarmac initial où c'est qu'on plante ses pieds ravis je vis ici je vis ici, je crois qu'elle l'a pas encore tout à fait foulé, Mzungu Dollar. Pourtant, j'étais prête.

J'avais bu qu'une coupe et un ballon de blanc dans l'avion, du Martha Argerich plein les tympans pour faire genre culture, les pieds tortillant dans le courtesy plaid en cachemire acrylique KLM, l'oeil en coin condescendant sur le gros Hollandais qui ronfle à côté. Bref : sage, avec dans le hublot de la World Business Class toutes ces dunes, que de sable whaou mais que de sable au Soudan ça doit être vraiment comme ça un vrai désert en vrai, est-ce que des fois ça serait pas l'aventure qui commence ?

Sauf que surplombé de 8 km c'est pas plus réaliste qu'un grand reportage Géo dans la salle d'attente du dentiste.

Du coup j'ai reporté toute mon attention sur un moustique momifié collé au hublot, bien réel avec un côté vaguement synecdochique pas déplaisant (la synecdoque, classe éco de la figure de style et base rhétorique du crevard), synthétisant donc les soirées à venir sous les palmes à exsuder le 5x5. Et puis les parasites qui grattent c'est mon truc, plus que les posters Fram.

Toute cette digression pour dire qu'en y posant les pieds, sur le tarmac en développement de l'aéroport, j'étais prête à la nouveauté avec un niveau d'alcoolémie largement moins élevé que d'habitude et un enthousiasme tout ce qu'on fait de débordant. J'ai grand-écarté les bras et inspiré à pleins poumons comme ils font les Grands Voyageurs aux premières pages de leur inévitable récit miam miam la bonne odeur des tropiques c'est autre chose que les prairies normandes ou la station Réaumur-Sébastopol.

Résultat : 10 litres de gasoil dans les bronches et un gilet de sauvetage jaune fluo qui me gueule d'avancer faut pas rester là avancez rapidement please ; aimable.

Je voulais en venir où déjà ?

Peut-être, simplement, à ce que ma mauvais volonté post-exotique elle s'est enclanchée là ; puis derrière la vitre teintée du fourgon monogrammé qui blinde à fond le silence sur la route toute droite et que la nuit dans ce pays, zéro éclairage ; puis dans le taxi qu'on prendrait pour faire 40 mètres ; puis dans le meublé carcéral en skaï bleu ; et cette impression de n'être, moi, nulle part, ni dans ce pays derrière la vitre, ni dans ce bureau, ni sous ces arbres en fleur dont je connaissais pas le nom. Et ce flottement, ce corps transparent résumé à une expression la plus simple imaginable, définitivement blanc et inadapté en tailleur et talons sur le bord de route, on la salue uniquement parce qu'on ne la connaît pas — je me suis arrêtée à côté de l'embouteillage, ce premier matin me rendant avec mes propres pieds et mes yeux au travail, sans vitres et roues additives pour blanc cul-de-jatte entre moi et cet endroit et je me suis dit traiter le mal par le mal au point ou j'en suis, une fourgonnette a redémarré me balançant à la gueule dix mètres cubes de monoxyde, allez vas-y j'ai inspiré, y'a pas de hasard, que des thématiques. Un vrai baptême hydrocarbure : Mzungu Dollar est née. Corpus Mzungi. Amen.

Comprenne qui voudra.